mardi 18 novembre 2014

The wire, the shadow line, the honorable woman, homeland, la liste serait longue de ces séries dénonçant au final sinon le mot démocratie tout au moins la ligne entre le bien et le mal. "A la fin de l'Histoire la mort vivra une vie humaine" avançait Hegel; mouais l'histoire a bon dos...par contre la mort jouit et semble avoir fait définitivement son lit au sein des familles (d'autant plus que tout un chacun veut aujourd'hui la consacrer...) Games of thrones, Dune, autant de sagas shakespearo-bibliques pour démontrer les rouages haineux qui président aux visions aveugles des prophètes enfermés à l'instar d'Hamlet dans la sacro-sainte vengeance du meurtre originel. Comme le soulignait Ph. Sollers on n'est jamais deux dans un lit... En opposition à ces ravages: La fin'amor. Dans le Midi, cet amour avec lequel se confond l'existence courtoise porte un nom : fin'amor (l'adjectif fina implique l'idée d'un achèvement), désignant un type de relation sentimentale et érotique, relativement fixe dans ses traits fondamentaux. La fin'amor est adultère, en imagination sinon toujours en fait. Le mariage est conçu comme l'un des éléments de la contrainte sociale, alors que la courtoisie repose sur le mérite et le libre don. Toute situation amoureuse individuelle est pensée et exprimée en vertu d'un schème, d'origine métaphorique, emprunté aux structures féodales : la femme est suzerain (on l'appelle midons, « mon seigneur », au masculin), l'homme est son vassal. Le lien amoureux s'exprime, du côté de la femme, par les termes juridiques de saisie, saisir ; du côté de l'homme, par service, servir. Le serment de fidélité, le baiser même, quel que soit leur sens érotique, comportent une valeur contractuelle. La « dame » (de domina, « l'épouse du maître ») apparaît toujours comme haut placée par rapport à celui qui la désire => le désir rapproche de façon emblématique du centre de la cour (centre de tout bien) celui qui le ressent. Reconnu, accepté par celle qui en est l'objet, il confère l'onor, terme ambigu, désignant à la fois un fief, un titre de gloire et l'appartenance à Paratge (mot dont le sens propre est « égalité », mais qui, dans l'usage provençal, est relatif à quelque fraternité courtoise, exclusive du monde extérieur). La dame, à un moment qu'il lui appartient de choisir en toute justice, accorde (ou refuse) sa merce, mot qui signifia primitivement « salaire » (cf. notre merci). Il faut entendre par là, sinon toujours l'abandon de sa personne, pour le moins quelque faveur préliminaire, en attendant ce qu'on nomme discrètement, le « reste » ou le « surplus ». La fin'amor en effet, en dépit de ce qu'en ont écrit certains commentateurs pressés ou mal informés, n'est aucunement platonique. Une sensualité profonde l'anime et affleure sous les formes d'expression, suscitant dans le discours une abondante (quoique discrète) imagerie érotique : allusions au corps de la femme, au charme des caresses, aux chances qu'offrent l'alcôve, le bosquet du jardin, aux jeux que permet, sur une nudité difficile à toujours dérober, l'incessante promiscuité du château. Le désir sexuel se camoufle çà et là sous des hyperboles qui ont pu donner le change aux historiens modernes. Mais il s'agit en réalité d'une attitude générale conforme à l'exigence courtoise de liberté : la possession et le plaisir sont exprimés à l'optatif ou au futur. Ils représentent le terme auquel on aspire ; mais, paradoxalement, la fin'amor implique une sorte d'effroi que l'accomplissement n'entraîne un relâchement du désir. D'où le sentiment qu'un obstacle quelconque, placé entre l'homme et la femme, relève de la nature même de l'amour. La dame est désignée par un pseudonyme plus ou moins symbolique (le senhal ). L'amour partagé s'entoure du plus grand secret, se replie sur le pur échange mutuel des paroles et des gestes dans lesquels il tend à son épanouissement. Tout se passe comme si, au sein de la cour, une dame unique (l'épouse du seigneur) constituait le foyer de désirs multiples (ceux des chevaliers rassemblés), de sorte que la relation amoureuse comporte deux aspects, l'un unique, l'autre multiple. La jalousie paraît dès lors absurde, pourtant on trouve la constante pensée d'autres, impliqués dans le jeu, comme des témoins indiscrets que l'on n'individualise jamais, mais que l'on confond dans le type collectif des lauzengiers, comme des rivaux possibles (gilos), comme des frères de destin (cavaliers, dommejadors). D'où, enfin, le caractère toujours fragile de la plénitude à laquelle on tend, que l'on atteint parfois, que l'on perd pour un rien : celle qu'exprime le mot de joi, « exaltation sentimentale qui, sans être étrangère au désir, le transcende en le spiritualisant » (Belperron). Joi (mot dialectal poitevin, du latin gaudium) : conscience du triomphe de la vie dans la nature printanière, accordée à la beauté de la femme, dans la bienveillance amoureuse de celle-ci, dans le contact savoureux des corps. Le mot en vient à désigner métaphoriquement la dame elle-même, en qui tout se résume et se justifie.

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